Ce livre propose une nouvelle théorie générale de la croissance économique complètement adaptée à la financiarisation récente de l'économie. Il intègre dès lors pour la première fois les plus-values dans le paradigme global. L'analyse n'est plus orientée uniquement vers la production mais surtout axée sur les échanges élémentaires de produits et d'actifs, unique source de valeur dans une économie monétaire. Elle se penche sur la création des trois sortes de valeur marchande : valeur ajoutée, plus-value et monnaie. Les interactions possibles entre les trois grandes sphères correspondantes (les marchés des produits, des actifs ou des crédits bancaires) sont décortiquées. Cette approche innovante constitue une véritable refondation de l'économie politique. Nous introduisons également une théorie de la valeur conventionnelle pour remplacer celles de la valeur-travail et de l’utilité marginale.
Synopsis du paradigme
La société dans laquelle nous vivons peut être considérée comme étant essentiellement une « économie d’échange monétaire » où les besoins humains ne peuvent être satisfaits que grâce à l’acquisition contre de la monnaie de biens et services produits par autrui.
Les sources de la valeur marchande
La première façon d’obtenir le pouvoir d’achat nécessaire est de vendre sa propre production de biens sur les marchés primaires afin de dégager un profit, appelé alors « valeur ajoutée ». Une autre possibilité est la location de son travail. Les salariés sont à ce titre des producteurs tout comme que les entrepreneurs, les bailleurs de fonds ou les loueurs de tout autre bien.
Cette solvabilité peut également provenir de profits tirés de la revente sans transformation sur les marchés secondaires de biens déjà existants (les actifs). Ces bénéfices sont nommés ici « plus-values ». Le revenu est ainsi alimenté non seulement par les valeurs ajoutées mais aussi par les plus-values.
En dernière instance, il est possible d’emprunter de la monnaie temporairement créée par les banques, si on considère que les crédits sur fonds prêtables se compensent au niveau global.
Ces trois sources de pouvoir d’achat exigent toutes des échanges pour pouvoir générer de la valeur. Par contre, seule la production crée des biens, mais jamais de la valeur.
Les trois économies
Ces transactions peuvent se regrouper dans trois sphères distinctes :
- l’économie productive où l’échange est conditionné par la production d’un bien nouveau ou la transformation d’un bien existant;
- l’économie secondaire qui rassemble les marchés secondaires où l’échange n’est pas contraint par une création de biens ;
- l’économie d’endettement dans laquelle les banques créent et détruisent de la monnaie par le biais de leurs crédits.
In fine, seuls les échanges au sein de l’économie productive peuvent contribuer à la croissance, définie habituellement comme l’augmentation de la production de biens et de services d’un ensemble économique sur une période donnée mais qui correspond plus exactement à l’augmentation de la valeur ajoutée créée.
Le cercle dialectique de la croissance
Ces trois domaines sont distincts mais ils interagissent. D’abord, les dépenses de l’économie productive (la consommation et l’investissement) peuvent être financées par des plus-values. Elles peuvent aussi être stimulées par une désépargne ou un réinvestissement grâce aux marchés secondaires. La demande peut aussi devenir solvable grâce à une création monétaire lors de l’obtention d’un crédit bancaire, toutefois le revenu disponible diminuera lors du remboursement. Ensuite, les revenus directs, obtenus grâce à la participation à l’activité productive, permettent également l’achat dans l’économie secondaire de biens de placement ou de réemploi. Les profits tirés des sphères productive et secondaire doivent en outre servir au remboursement des crédits bancaires ou peuvent être thésaurisés. Dans tous les cas, ce qui est dépensé dans une sphère ne peut plus l’être dans une autre. Ce circuit, que nous nommons « cercle dialectique de la croissance », se construit à partir d’une analyse « nanoéconomique » des échanges élémentaires et de leurs enchaînements plutôt qu'à partir de l’étude du comportement des agents ou des marchés. Chaque échange a été précédé d’échanges en amont et donne lieu à de nouvelles en aval. Le circuit est dynamique et dialectique car la chaîne de la valeur se présente de la manière suivante :
Dépense - Produit - Revenu - Dépense
Mais rien ne garantit qu’une dépense donnera lieu à une dépense subséquente égale, heureusement d’ailleurs car cette différence permet la croissance.
Le Grand Déroutement
Dans pareil circuit, un risque majeur pèse sur la croissance à long terme : les placements dans l’économie secondaire pourraient se substituer aux investissements productifs. Ce danger est d’autant plus grand que la spéculation, qui rend ces placements encore plus attractifs par la hausse de la demande d’actifs sur des marchés secondaires très inélastiques, peut être soutenue par le crédit. Nous nommons « Grand Déroutement » ce phénomène récent et devenu absolument fondamental. Ces fuites sont doublement préjudiciables à la croissance. En effet, la demande telle qu’anticipée par les entrepreneurs (la « demande effective » keynésienne) s’en trouve contractée, ce qui dissuadera plus encore les investisseurs. Or, les investissements sont indispensables à l’innovation et les gains de productivité, avec le lancement de biens nouveaux, sont les déterminants principaux de la croissance sur le long terme. Ainsi, l’équilibre macroéconomique - qui pose que le produit, le revenu et la dépense sont en permanence égaux au sein de la sphère productive - n’existe donc pas alors qu’il constitue le fondement des théories macroéconomiques actuelles.
L’amplificateur de croissance
Le cercle dialectique de la croissance, où apparaît et circule la valeur marchande, fonctionne comme une dynamo qui génère plus de courant lorsqu’elle tourne davantage ou quand son rendement est amélioré. Nous répartissons donc les mécanismes de la création de valeur ajoutée en trois ensembles :
- L’amplificateur quantitatif augmente le nombre de transactions par une hausse des dépenses motrices et induites. La propension à consommer, à investir ou à placer ainsi que le multiplicateur keynésien et l’accélérateur d’investissement y sont repris.
- L’amplificateur qualitatif accroît le profit tiré d’un échange. Les innovations de procédé et de produit en sont les moteurs essentiels.
- La synergie émulative regroupe les processus qui permettent à ces deux amplificateurs de se stimuler mutuellement. Nous y rangeons par exemple les rendements d’échelle, l’effet de revenu ou de richesse et le dopage de la demande par de nouveaux produits plus attrayants.
Le capital mental
Tous ces mécanismes inclus dans l’amplificateur de croissance ont besoin d’une force motrice. Bien avant le capital physique et le capital humain, le facteur de croissance principal est le « capital mental » car il détermine les autres. Nous définissons le capital mental comme un ensemble de caractéristiques psychosociologiques de type culturel qui façonnent la capacité productive des agents économiques, comme l’assiduité, la rigueur, la volonté de réussir, l’honnêteté ou l’intelligence sociale.
La théorie de la valeur conventionnelle
La valeur marchande d’un bien, son prix donc, se forme dans l’échange par la confrontation de deux utilités : celle de l’acheteur et celle du vendeur. Son niveau dépend du rapport de force entre les coéchangistes. Dans une démarche utilitariste, subjective et circonstancielle, et face à des risques souvent non probabilisables, l’utilité perçue par l’acheteur dépend de l’avantage que l’acquisition dudit bien pourrait lui procurer. Le vendeur pour sa part ajoute à ses charges une exigence personnelle de profit. Ces charges sont principalement le coût de production dans l’économie productive et le prix (résiduel) d’acquisition du bien pour la revente d’actifs. L’état de la concurrence et la disponibilité de l’information sur les marchés, qui ne sont qu’exceptionnellement centralisés, influencent la force de négociation des parties, donc le prix de l'échange. Par conséquent, les biens n’ont jamais une valeur objective. L’analyse de ces mécanismes nous a amené à développer une nouvelle « théorie de la valeur conventionnelle » fondée non plus sur l’utilité pour l’acheteur mais sur la satisfaction des coéchangistes en situation de conflit d’intérêt. Nous récusons ainsi les deux grandes théories traditionnelles de la valeur : la valeur-travail et la valeur-utilité. La formation des prix dans l’économie secondaire obéit mutatis mutandis aux mêmes principes que dans la sphère productive.
La répartition du revenu comme facteur de croissance
Les processus de création de la valeur ajoutée et des plus-values que nous venons d’esquisser ne sont pas les seuls déterminants de la croissance. La répartition des revenus tirés de la participation à l’activité productive, qui se réalise également par la voie des échanges, peut aussi l’influencer fortement par son effet sur les diverses composantes de la demande : la consommation, l'investissement, le placement, le réemploi ou le crédit. La demande est le moteur principal de la croissance à court terme mais, à cause de puissants effets idiosyncratiques, la croissance à long terme dépend du sentier emprunté, autrement dit des aléas rencontrés en chemin. Cela n’empêche nullement l’innovation d’en constituer l’épine dorsale à plus long terme.
L’économie secondaire
L’économie secondaire regroupe tous les marchés secondaires de biens qui n’ont pas été transformés par le revendeur. Les acheteurs y ont deux motivations : le placement dans le cadre de la gestion de leur patrimoine et le réemploi lié à l’économie circulaire. Les plus- et moins-values qui y apparaissent n’influencent qu’indirectement la croissance. L’économie secondaire impacte en effet la création de la valeur ajoutée dans l’économie productive par différents canaux. Les marchés secondaires sont d’abord absolument indispensables au bon fonctionnement de l’économie, en assurant la liquidité du patrimoine. Les investisseurs sont encouragés car ils disposent ainsi de la possibilité de se désengager rapidement si nécessaire. La désépargne et le réinvestissement sont aussi permis. Les marchés secondaires stimulent également la croissance grâce à un effet de revenu puisque les plus-values réalisées constituent une source de revenus – sans compter l’effet de richesse consécutif aux plus-values latentes.
L’impact de la financiarisation sur la croissance
A l’opposé, les excès sur le marché des actifs, qui se multiplient depuis la dérégulation et la financiarisation de l’économie, contrarient fortement le développement économique de diverses manières :
- La spéculation sur les bourses de biens d’usage peut comprimer la consommation par une augmentation indue des cours.
- Si les rendements à court terme espérés dans l’économie secondaire sont nettement supérieurs par rapport à ceux attendus dans la sphère productive, l’exigence de profit des producteurs augmentera, ce qui contractera la demande, et l’épargne sera détournée des investissements au profit des placements et de la spéculation (le Grand Déroutement).
- Cette mise en concurrence et la modification de la structure actionnariale des sociétés obligent les entrepreneurs à adopter une gouvernance dite actionnariale visant à réduire les salaires afin d’augmenter les dividendes, ce qui déforme la distribution des revenus et pèse sur la demande. Ils pourraient également jouer sur l’effet de levier afin d’augmenter les bénéfices distribuables mais le surendettement qui s’ensuit rend les entreprises plus vulnérables aux chocs et aux crises. Face à une forte exigence de rendement à court terme de la part des actionnaires provoquée par la financiarisation de l’économie, les sociétés risquent aussi de réduire leurs investissements qui ne rapportent au mieux qu’à plus long terme.
- Les nouveaux instruments financiers favorisent la spéculation et l’endettement.
- Les crises dues à l’éclatement des bulles financières sont particulièrement préjudiciables car elles se transmettent souvent à l’économie productive, donc à l’ensemble de l’économie, entre autres par un assèchement du crédit.
L’économie d’endettement
Ce dernier risque nous ramène à l’économie d’endettement. La création endogène de monnaie par le crédit bancaire est importante pour la croissance puisqu’elle permet aux deux autres sphères de se libérer partiellement des contraintes liées à l’autofinancement et à la disponibilité des fonds prêtables en assurant une meilleure liquidité des marchés financiers. En revanche, un resserrement du crédit ou une hausse des taux freinent l’investissement et la consommation. Le crédit présente aussi d’autres dangers par une interaction malsaine entre l’économie secondaire et l’économie d’endettement. L’utilisation du levier d’endettement pour spéculer augmente le risque de formation de bulles dans l’économie secondaire, ce qui incite encore davantage à s’endetter (l’effet d'accélérateur financier). La distribution malheureuse des revenus à la suite de la financiarisation pousse également les ménages à emprunter pour conserver leur niveau de vie. La crise financière se profile et elle risque fort de s’étendre à l’économie productive, ce qui freinerait durablement la croissance. La titrisation des créances bancaires stimule aussi de manière malsaine la création monétaire.
Cette théorie de la croissance financiarisée montre clairement que les trois économies sont étroitement imbriquées et que les plus-values et la création endogène de monnaie y jouent un rôle qu’on ne peut plus ignorer à cause de la financiarisation. Elle ambitionne dès lors d’englober tous les mécanismes et tous les déterminants de la croissance, y compris des phénomènes connexes comme la spéculation ou le réemploi. Elle nous semble plus à même d’expliquer l’évolution contemporaine de l’économie des pays avancés. La prise en compte de la financiarisation dans un paradigme adapté aurait par exemple permis de prédire plus sûrement la crise systémique de 2007-2008, voire de l’éviter.